
Michel Tognini, ancien astronaute français, pilote d’essai et ingénieur, a participé à deux missions spatiales : Antarès (Soyouz TM-15, 1992) et STS-93 (1999).
Aujourd’hui, il est, entre autres, conférencier, notamment pour HEC, l’APM (Association Progrès du Management), vice-président de l’Aéroclub de France, vice-président de la fondation Van Allen, qui produit des nanosatellites (fondation partenariale de l’Université de Montpellier soutenant le Centre Spatial de l’Université de Montpellier – CSUM), ou encore conseiller pour Aldoria, qui développe son propre réseau de stations d’observation optiques multi-télescopes pour détecter les objets traversant le ciel. Enfin, Michel Tognini est également le parrain du planétarium de Vaulx-en-Velin, partenaire de l’association.
PRÉSENTATION
Q : Vous avez eu une carrière assez exceptionnelle entre l’aviation et l’espace. Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir astronaute ?
C’est une vocation qui est venue très tôt. Mais l’envie vient aussi des possibilités offertes. Malheureusement, quand j’ai commencé l’école, je n’avais pas une scolarité excellente et, lorsque je suis revenu en France avec mes parents à 11 ans, j’ai redoublé ma classe de 6e. J’ai eu la chance de rencontrer un professeur de mathématiques qui m’a illuminé et m’a aidé à « décoller » dans cette matière.
À partir de ce moment-là, j’avais une visée vers le futur plus favorable. J’étais bon dans une matière, et ça m’a redonné confiance. J’ai eu de bons résultats en physique, en anglais, et j’ai porté ma scolarité vers le haut.
J’ai intégré après la seconde une formation de préparation aux Arts et Métiers, où j’ai rencontré un autre professeur de dessin industriel, également incroyable, qui m’a donné envie d’être ingénieur.
Je me destinais donc à des études de mathématiques, et j’ai intégré une école militaire, l’École des Pupilles de l’Air à Grenoble, qui préparait à l’École de l’Air. J’ai fait la classe de l’air, l’équivalent de « Math Sup – Math Spé ». Pendant ces deux années, en plus des mathématiques, le sport était très important pour la confiance en soi.
J’ai commencé à expérimenter des choses que je n’avais jamais faites avant, comme piloter des avions ou sauter en parachute. Cette école m’a bouleversé dans ma vision de la vie professionnelle, et c’est là que j’ai décidé de devenir pilote de chasse et d’entrer à l’École de l’Air.
Q : Si vous deviez résumer votre parcours en une seule phrase, laquelle vous viendrait spontanément ?
[Gradatim Ferociter] qui signifie « Pas à pas, férocement ».
C’est-à-dire que ce n’était pas gagné pour moi, mais qu’à force de travail et de discipline, tous les jours, et grâce à ces rencontres déterminantes, j’ai commencé à rêver à cet avenir. C’était miraculeux. Les mathématiques sont devenues presque un jeu pour moi, et je suis encore aujourd’hui un vrai passionné.
DEVENIR ASTRONAUTE
Q : Vous êtes pilote de chasse et ingénieur. En quoi cette formation vous a-t-elle aidé pour votre sélection comme astronaute ?
Elle m’a beaucoup aidé ! Il faut d’abord être pilote de chasse avant de se présenter au concours de pilote d’essai. J’avais déjà dix ans de pilotage et suffisamment d’heures comme pilote de chasse derrière moi pour entrer à l’école de pilote d’essai en Angleterre.
Ensuite, j’ai travaillé pendant deux ou trois ans comme pilote d’essai, et est arrivée la sélection pour devenir astronaute du CNES, en 1985, visant à recruter les futurs astronautes pilotes de la navette Hermès, qui aurait dû décoller avec Ariane 5. Pour piloter cet avion spatial hypersonique, il fallait valider la formation de pilote d’essai — ce qui est devenu mon objectif à ce moment-là.
Q : Comment s’est passée votre sélection en tant qu’astronaute du CNES, puis de l’ESA ?
J’ai d’abord été recruté par le CNES. Il y avait un appel à candidatures pour sélectionner sept astronautes. Nous étions plus de 1000 candidats au départ.
Ensuite, une série d’épreuves très complètes s’est déroulée sur environ un an : un CV très détaillé bien sûr, des examens médicaux pour comprendre comment notre corps réagit à certaines situations dans l’espace, des tests psychotechniques, des entretiens, des évaluations de travail en équipe, des tests en centrifugeuse, d’effort, de gestion du stress, etc.
J’ai eu la chance d’être sélectionné parmi les sept. Puis, quelques années plus tard, l’ESA a lancé un programme européen, et j’ai été intégré dans ce nouveau corps d’astronautes européens.
Q : Quelles sont les qualités indispensables pour devenir astronaute ?
Il y en a beaucoup ! À l’époque, j’aurais dit : la détermination et la motivation. Aujourd’hui, je résume ces qualités avec quatre lettres : CHAM :
- C : Congruence — l’alignement entre nos pensées, nos émotions, nos paroles et nos actions ;
- H : Humilité — avoir conscience de ses faiblesses ;
- A : Assertivité — savoir s’exprimer et défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres ;
- M : Motivation — cette force qui nous pousse à avancer.
MISSIONS SPATIALES
🚀 Mission Antarès (1992 – Soyouz TM-15)
La mission Antarès est une mission spatiale franco-russe réalisée en 1992, dans le cadre d’une collaboration entre le CNES (Centre National d’Études Spatiales) et l’agence spatiale russe. Elle a marqué une étape importante dans la coopération spatiale entre la France et la Russie.
Q : Lors de votre première mission, à bord de Soyouz, qu’avez-vous ressenti au moment du décollage ?
C’est très impressionnant. Vous êtes assis en haut d’une fusée de presque 50 mètres de haut. Vous êtes tout petit, et derrière vous, il y a un « pétard » de 500 tonnes de poussée qui va vous envoyer dans l’espace.
Nous nous installons dans la fusée 2h30 avant le décollage pour effectuer toutes les vérifications. Le vaisseau ressemble beaucoup au simulateur dans lequel nous nous sommes entraînés pendant deux ans, donc on est presque « habitués ».
Puis le compte à rebours arrive, les moteurs s’allument à poussée maximale et la fusée décolle. Le décollage dure 9 minutes pendant lesquelles on subit 4 G. On est allongé sur le dos dans la capsule, on sent la structure vibrer, le bruit monte… puis vient le moment : le départ.
Ce qui est impressionnant, c’est la rapidité. Neuf minutes ! C’est l’équivalent de deux stations de métro, et ça va presque trop vite pour que l’on réalise ce qui se passe. Et vous voilà dans l’espace, à 28 000 km/h : vous pouvez faire 16 fois le tour de la Terre en une journée.
Q : Comment s’est passée la collaboration avec les cosmonautes russes ?
Très bien. Au début, c’était un peu compliqué avec la barrière de la langue, mais j’ai appris le russe et j’ai pu dialoguer avec eux, partager des soirées, découvrir leur culture.
Ce sont des personnes très sympathiques, qui apprécient beaucoup la France et les Français. Leur méthode est un peu « à l’ancienne » : le timing n’est pas prioritaire, l’apprentissage prend le temps qu’il faut, mais quand vous sortez des entraînements, tout est parfaitement acquis.
Nous étions extrêmement bien préparés, avec les instructeurs et les constructeurs. Les Russes sont rigoureux et expérimentés. J’ai beaucoup appris avec eux.
Q : Quels étaient vos principaux objectifs scientifiques à bord de la station Mir ?
Nous avions plusieurs expériences scientifiques à mener en microgravité, sur des sujets comme la biologie, la médecine ou la physique des fluides.
La principale concernait l’échographe AS du cœur. Elle visait à étudier le fonctionnement du cœur et du système circulatoire humain en microgravité. En l’absence de pesanteur, le corps subit des bouleversements : redistribution des fluides vers la partie supérieure du corps, réduction du volume sanguin, adaptation du cœur.
Pour cela, nous avons utilisé un échographe Doppler portable conçu pour fonctionner en orbite. Nous avons réalisé des enregistrements du cœur avant, pendant et après le vol.
Les résultats ont permis d’analyser l’évolution de la forme, du volume et des performances cardiaques en microgravité, fournissant des données précieuses pour la médecine spatiale et les futures missions longues.
🚀 Mission STS-93 (1999 – Navette Columbia)
La mission STS-93 a été lancée par la NASA le 23 juillet 1999 depuis le Kennedy Space Center en Floride.
Son objectif principal : mettre en orbite le télescope spatial Chandra, l’un des quatre grands observatoires de la NASA, conçu pour observer l’univers en rayons X. Cette mission est également historique car elle fut la première mission américaine commandée par une femme, Eileen Collins, une ancienne pilote d’essai et astronaute chevronnée.
Q : Quel était votre rôle à bord ?
Avec Catherine G. Coleman, nous étions responsables du déploiement du télescope Chandra, qui était le plus gros et le plus précis à l’époque — et il l’est encore aujourd’hui dans sa catégorie.
Il permet d’étudier des objets très chauds et violents comme les trous noirs, les étoiles mortes (supernovae), les amas de galaxies. Grâce à Chandra, nous pouvons mieux comprendre les zones les plus extrêmes de l’univers.
Q : Quelles différences avez-vous constatées entre Soyouz et la navette américaine ?
À bord de la navette américaine, les sièges sont classiques et peuvent être repliés une fois en orbite. Le décollage est puissant, mais le retour est plus doux, avec une accélération maximale d’environ 2 G. L’atterrissage est comparable à celui d’un avion.
Le vaisseau Soyouz est plus petit, mais ses sièges baquets sont très confortables pour l’atterrissage, car ils absorbent les chocs. En revanche, le retour est bien plus intense : jusqu’à 5 G à la rentrée atmosphérique. L’atterrissage en parachute sur sol dur génère un choc important.
Q : Avez-vous rencontré des imprévus en mission ?
Sur la première mission, seulement une panne radar, vite réglée.
Mais sur la deuxième, il y a eu un vrai danger : un morceau du moteur s’est détaché au décollage, ce qui a provoqué une surchauffe. Nous avons failli devoir couper le moteur. Et juste après, une panne électrique ! Deux incidents combinés. Nous avons réussi à isoler les boîtiers électroniques pour empêcher l’avarie de provoquer une coupure des moteurs.
Ce fut très sérieux. On n’était pas loin d’un vol catastrophique.
VIE QUOTIDIENNE DANS L’ESPACE
Q : À quoi ressemble une journée type, d’un point de vue professionnel, à bord d’une station spatiale ?
C’est comme une journée dans un laboratoire scientifique… mais en orbite ! À la différence près qu’en plus d’y faire des expériences, on y mange, on y dort, on y fait du sport et on prend des photos par la fenêtre.
Toutes les expériences scientifiques sont planifiées avec un timing très précis. Tout prend plus de temps dans l’espace : l’espace est restreint, et les missions sont de courte durée, donc « il ne faut pas se rater ».
Le soir, au lieu de me détendre, je préférais préparer la liste des tâches et le matériel pour le lendemain afin d’être prêt. J’ai ainsi pu tout réaliser sans perdre de temps, en optimisant mes journées.
Q : Et sur la partie vie quotidienne, les repas ou encore le sommeil ?
Dans la station Mir, il y avait deux petites cabines de couchage, à la verticale, comme des cabines téléphoniques. Une fois à l’intérieur, je m’installais dans mon sac de couchage et je m’attachais bien pour ne pas flotter !
Q : Avez-vous vécu des moments particulièrement forts en orbite ?
Oui, plusieurs. Lors de la première mission Antarès, nous écoutions de la musique sans écouteurs, donc c’était pour tout le monde. Nous écoutions Vladimir Vyssotski, un chanteur russe à la voix rocailleuse et profonde, un peu notre Jacques Brel — très émouvant.
J’avais aussi apporté Le Grand Bleu de Luc Besson, qui, avec peu de dialogues, se comprenait par tous.
Quand j’ai quitté la station, ce fut très fort émotionnellement. Je quittais des amis, eux restaient encore six mois.
Avant de mettre en marche le moteur pour rentrer sur Terre, nous étions dans le noir complet, à attendre une ou deux heures. Ils ont mis la musique que nous écoutions ensemble dans la station. C’était très touchant.
Ce fut une belle mission, une vraie collaboration scientifique franco-russe, et une belle entente. Je serais volontiers resté plusieurs mois de plus.
L’AVENIR DE L’EXPLORATION SPATIALE
Q : Quel regard portez-vous sur l’évolution du vol spatial habité depuis vos missions ?
C’est phénoménal. Le premier vol de Youri Gagarine en 1961 a duré une seule orbite, environ 1h30. Puis, petit à petit, la durée des missions a augmenté : une semaine, dix jours, puis 18 jours.
Mais à l’époque, les cosmonautes perdaient tellement de masse osseuse et musculaire qu’il fallait parfois six mois pour les remettre sur pied. Alors on a commencé à intégrer le sport dans les vols.
On est passés à des vols d’un mois, puis six mois, puis un an. Le record est de 14 mois !
Mais aujourd’hui, ce n’est plus le muscle ou l’os le problème principal : c’est la psychologie. Elle est donc devenue un critère important de sélection et d’entraînement.
Aujourd’hui, les vols de six mois sont la norme. Nous savons mieux contrôler les effets sur le corps humain, mieux gérer les ressources.
À mon époque, on amenait 80 % d’eau de la masse embarquée de la Terre vers la station. Aujourd’hui, seulement 20 %, car l’eau est recyclée.
On prépare maintenant les voyages lointains vers la Lune, Mars ou les astéroïdes.
Q : Justement, en parlant de Mars, pensez-vous que les humains marcheront un jour sur cette planète ?
Mars, c’est un peu la montagne de derrière, qu’on ne pensait pas si haute ! Le voyage est très cher, très complexe, difficile à organiser. Aucun pays ne pourra le faire seul.
La volonté politique et les coopérations internationales seront essentielles.
À mon avis, seules les cinq puissances actuelles de la Station spatiale internationale pourront s’y associer : la Russie, les États-Unis, le Japon, le Canada et l’Union européenne. Il faudra aussi compter sur la Chine, dont le savoir-faire progresse, et sur l’Inde, qui lancera ses premiers vols habités l’an prochain, avec une station spatiale d’ici dix ans et un projet lunaire dans quinze ans.
Il faudra unir les forces, partager les coûts, les connaissances, les technologies pour que ce vol soit possible.
Q : Quel conseil donneriez-vous aux jeunes qui rêvent de devenir astronautes aujourd’hui ?
D’abord : étudiez au maximum, travaillez dur, ne cessez jamais d’apprendre.
Évitez autant que possible les réseaux sociaux et les jeux vidéo — ce sont des pertes de temps sans apprentissage. Préférez les mathématiques, le français, les langues !
Aujourd’hui, trois parcours mènent à ce métier :
- Pilote de chasse / pilote d’essai — comme moi ;
- Ingénieur — comme Jean-François Clervoy (Polytechnique) ;
- Scientifique / médecin — comme Claudie Haigneré (rhumatologue).
On recherche aussi de plus en plus de profils mixtes, comme Thomas Pesquet, ingénieur aéronautique (SUPAERO), passé par le CNES, puis devenu pilote de ligne chez Air France.
Croyez en vos rêves, mais préparez-vous sérieusement. Il faut exceller dans un domaine (sciences, ingénierie, médecine…), parler plusieurs langues, développer son écoute, son esprit d’équipe, et ne pas craindre l’échec.
L’espace est exigeant, mais c’est une aventure magnifique — avant tout humaine.
CONCLUSION
Q : Quel est le plus bel enseignement que l’espace vous a apporté ?
La vision de la Terre depuis l’espace.
Quand on décolle de jour, le ciel devient peu à peu noir, et on passe au-dessus de la Terre.
Quand on regarde notre planète depuis l’espace, on comprend immédiatement combien elle est fragile.
Pas de frontières, pas de conflits visibles, juste une sphère vivante, bleue, suspendue dans le vide.
C’est un choc visuel, mais aussi intérieur. On comprend qu’on est tous dans le même vaisseau, qu’il faut le protéger.
La seule frontière visible, c’est l’atmosphère, notre bouclier commun.
C’est aussi pour cette raison qu’il faut aller sur Mars : cette planète avait une atmosphère qui a disparu — on ne sait pas encore pourquoi. L’étudier, c’est mieux comprendre la Terre.
Q : Avez-vous un dernier mot pour nos lecteurs, petits et grands ?
Le spatial a commencé il y a 60 ans. À l’échelle de l’humanité (50 000 ans), c’est une goutte d’eau.
60 ans ne suffisent pas pour imaginer ce que nous ferons dans deux ou cinq siècles.
Habiterons-nous sur Mars ? Aurons-nous recréé une végétation, une atmosphère ? Vivrons-nous sur des astéroïdes, des exoplanètes ?
Beaucoup de questions pour l’avenir, mais un point de départ clair : le vol de Gagarine, qui a franchi l’atmosphère.
Depuis, il n’y a plus de limite aux rêves.
Photo : Earth observations of Northern Madagascar taken from Columbia during STS-93 mission
©NASA
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