De la salle de classe aux sommets alpins, du cockpit d’un hélicoptère aux coulisses de l’industrie aéronautique, Gérard David a construit une vie placée sous le signe du ciel. Littéraire devenu pilote, enseignant devenu dirigeant, communicant devenu formateur, il n’a jamais cessé de conjuguer passion et engagement. À travers son récit, c’est toute une vision de l’aéronautique qui se dessine : une filière exigeante, audacieuse, profondément humaine, et résolument tournée vers l’avenir. Avec un message clair pour les jeunes générations : le ciel appartient à ceux qui osent… et qui travaillent.
L’origine d’une vocation
Q : Vous avez débuté votre carrière dans l’enseignement supérieur avant de vous tourner vers l’aéronautique. Qu’est-ce qui a déclenché ce changement de cap ?
J’ai d’abord suivi un parcours résolument intellectuel : une préparation à l’École Normale Supérieure, puis l’agrégation de lettres classiques. À l’époque, être normalien signifiait être rémunéré par l’État — et donc lui “devoir” dix ans de service public.
Ces dix années, je les ai accomplies avec enthousiasme : d’abord au lycée Antoine-Charrial, puis à Sciences Po Lyon et enfin à l’Université Lyon III, dont j’ai été l’un des fondateurs et le premier vice-président en 1973. C’était une période extraordinaire : nous étions en train de bâtir une université nouvelle, à un moment où tout était encore à inventer.
J’adorais enseigner, et j’aime toujours cela. J’enseignais la culture générale, que je considérais – et que je considère encore – comme une vraie discipline intellectuelle, que l’on soit scientifique ou littéraire, pas une matière “à côté”. J’ai longtemps milité pour qu’elle soit reconnue à part entière ; je préparais des étudiants à l’ENA, à l’École de la magistrature, au CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat) …
J’avais même déposé un sujet de thèse intitulé L’air et la plume, qui devait explorer le lien entre littérature et aviation : signe révélateur, sans doute, de la passion qui traverserait toute ma vie.
Mais très vite, j’ai compris que le monde de la recherche, aussi noble soit-il, ne correspondait pas à mon tempérament. Je suis profondément un homme d’action, et non de bibliographie. À la fin de mes dix ans dans la fonction publique, j’ai donc décidé de franchir le pas. Après une courte période de disponibilité, j’ai fondé, avec mon frère, une compagnie aérienne spécialisée dans le transport régional et plus particulièrement alpin, Auxiair.
Nous opérions avec de petits avions et des hélicoptères sur des lignes régulières comme Lyon-Alpe d’Huez : une aventure audacieuse et passionnante. J’y ai enfin réuni mes deux moteurs : l’action et l’air. Ce n’était pas un rejet de l’enseignement, mais un besoin impérieux de faire, d’agir, de passer de la transmission à la réalisation.
Q : Vous êtes un « enfant du pays », que représentait l’aviation pour vous à vos débuts ? Était-ce une passion d’enfance, un rêve de liberté, un défi intellectuel ?
Rien, dans mon entourage familial, ne me prédestinait à l’aéronautique : aucun pilote, aucun ingénieur. Ma passion est née de deux chocs culturels.
Le premier, c’est la lecture du Grand Cirque de Pierre Clostermann – pilote de chasse de la France libre : un livre d’une intensité incroyable, qui m’a profondément marqué.
Le second, c’est la découverte au cinéma des Diables de Guadalcanal avec John Wayne, dans une salle qui fait face à l’église de la rue de la Rédemption à Lyon.
Ces deux expériences – la littérature et le cinéma – ont allumé en moi la flamme de l’aviation. C’est par la culture que je suis entré dans le monde de l’air.
Q : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de vos premières expériences de vol ?
Mon baptême de l’air a eu lieu à Bron, lors de l’arrivée d’un nouvel avion à l’aéroclub du Rhône et du Sud-Est, un Auster, sur lequel je devais écrire un article pour L’Écho-Liberté, où je collaborais alors comme jeune journaliste pigiste.
Le pilote, Monsieur Dardenne, également journaliste-pilote au Progrès, m’a emmené en vol… Je suis redescendu malade comme un chien. Et je me suis dit : “Plus jamais.”
Mais, en réalité, ce moment a été un déclic. Je ne pouvais pas en rester là.
Dès que j’en ai eu la possibilité, j’ai commencé mes premières heures de vol à Cessieu–La Tour-du-Pin, sur une piste en herbe, courte et bordée d’une colline. Un terrain exigeant, idéal pour apprendre : il m’a donné la rigueur, la prudence et le sens du détail.
C’est là que se trouvent mes racines aéronautiques. J’y ai des amis de longue date ; j’y retourne encore souvent. Ce terrain a failli disparaître, mais a été sauvé par Louis Collardeau – un passionné comme on en fait peu.
Mes racines sont lyonnaises, dauphinoises et savoyardes ; mes racines aéronautiques, elles, sont incontestablement à Cessieu, où je garde d’excellents amis, comme Alain Blondel, l’ancien maire, notaire et pilote.
Une carrière multiple et passionnée
Q : Vous avez occupé des postes très variés : dirigeant d’une compagnie aérienne, directeur de la communication chez Dassault Aviation, instructeur de vol… Qu’est-ce qui relie ces différentes expériences ?
Le fil rouge, c’est la passion de l’air. Elle a parfois été mon métier principal, parfois une activité parallèle, mais toujours présente.
Après ma compagnie, j’ai cofondé avec le docteur Charles Mérieux l’institut Bioforce, destiné à former des logisticiens pour les ONG humanitaires – un concept totalement inédit à l’époque. Charles Mérieux avait cette intuition extraordinaire : il voulait que les acteurs de l’aide internationale soient formés avec la même exigence que les ingénieurs ou les pilotes.
Quelques années plus tard, en 1999, Serge Dassault m’a recruté pour diriger la communication du groupe et moderniser son image. Il voulait faire évoluer Dassault Aviation : passer d’une réputation d’arsenal militaire à celle d’une entreprise innovante, ouverte sur le monde.
J’avais une exigence : pouvoir continuer à voler. Je ne voulais pas choisir entre mes deux vies ; je voulais les unir. Après une longue discussion, j’ai obtenu un contrat unique : j’étais directeur ET pilote, avion et hélicoptère. Cela m’a permis d’accompagner journalistes, décideurs, partenaires, de parler, seul littéraire de l’entreprise, d’égal à égal avec les ingénieurs, et de ne jamais perdre le contact avec le terrain, au sol comme en vol.
Mon conseil aux jeunes ? Ayez deux casquettes. J’en ai moi-même mis cinquante ans à réunir les miennes – la culture et l’aéronautique – mais la synthèse finit toujours par se faire.
Q : Quelle est la compétence ou la valeur que l’aéronautique vous a le plus enseignée ?
Sans hésiter : la rigueur.
J’étais curieux, parfois dispersé, toujours avide d’apprendre – et l’aviation m’a obligé à me discipliner sérieusement.
Elle m’a appris à anticiper, à prévoir et à m’adapter. Trois mots qui sont devenus un axiome de base : anticiper, anticiper, anticiper, savoir où l’on va, savoir où l’on va, savoir où l’on va.
Un vol ne se décide pas sur un coup de tête : tout s’étudie, se calcule, se prépare. Mais l’aviation enseigne aussi l’humilité : même avec toutes les précautions, l’imprévu survient toujours.
En montagne, cette leçon est quotidienne : la lumière, le vent, la neige, le poids de l’appareil, tout change d’un instant à l’autre.
C’est là le génie de l’aéronautique : conjuguer prévision et adaptabilité, rigueur et pragmatisme.
Q : L’aéronautique est un secteur de haute exigence. Comment avez-vous concilié rigueur, sécurité et passion au quotidien ?
Je crois qu’il faut suivre une sorte de triade personnelle : prévoir (où l’on va, comment), Documenter, tout noter, tout contrôler ; Et malgré tout, rester souple. Il y a toujours, pour tous les passionnés d’aviation des imprévus, quelque chose que l’on n’a pas appris. Il faut savoir être concentré et réactif.
La passion ne doit jamais fragiliser la sécurité ; au contraire, elle doit la renforcer…
Q : Une anecdote à nous transmettre ?
Le changement de nom de l’aéroport Lyon–Satolas pour devenir Lyon–Saint-Exupéry, en 2000, a été une aventure de plusieurs décennies.
J’avais commencé à plaider cette idée dans les années 70-80, en écrivant des notes à Valéry Giscard d’Estaing, puis à François Mitterrand – à qui j’ai même remis un mémo… en plein vol en Gazelle !
Dans les années 1960, l’État décide de construire un grand aéroport à l’est de Lyon pour remplacer celui de Bron. Le site choisi se trouve principalement sur la commune de Colombier-Saugnieu, mais le nouvel aéroport est baptisé Lyon-Satolas, du nom d’un village voisin, ce qui provoque la colère du maire local.
Dès l’inauguration en 1975 par le président Valéry Giscard d’Estaing, plusieurs voix – dont la mienne – proposent de rebaptiser l’aéroport Lyon–Saint-Exupéry, en hommage à Antoine de Saint Exupéry, écrivain et aviateur lyonnais mondialement connu.
Né à Lyon le 29 juin 1900, Antoine de Saint Exupéry passa son enfance et son adolescence à Saint Maurice de Rémens, pile dans l’axe, en décollage face nord, de la nouvelle piste du nouvel aéroport ; Il prit, à l’insu de ses parents, son baptême de l’air à 12 ans à Ambérieu-en-Bugey avec Gabriel Wroblewski, dit Gabriel Salvez]
Malgré des démarches répétées auprès des présidents Giscard d’Estaing, puis de Mitterrand dans les années 1980, la demande reste sans suite. Ce n’est qu’à l’occasion du centenaire de la naissance de Saint Exupéry, en 2000, que l’idée est relancée et finalement adoptée, grâce notamment au soutien du ministre des Transports Jean-Claude Gayssot, qui défend le projet malgré quelques oppositions politiques et historiques. Le 29 juin 2000, l’aéroport Lyon-Satolas devient officiellement Lyon–Saint-Exupéry, lors d’une cérémonie aéronautique symbolique célébrant à la fois l’aviateur, son héritage et la modernité de la plateforme. Pour moi, c’est une fierté immense.
Transmettre et faire aimer l’aéronautique
Q : Vous avez consacré une partie de votre vie à la formation et à la promotion du vol. Qu’est-ce qui vous motive à transmettre ?
L’enseignement ne m’a jamais quitté. À Bioforce déjà, la formation était au cœur du projet. Aujourd’hui encore, j’instruis notamment en vol montagne et j’interviens auprès de jeunes pour le BIA, à Sarcelles et dans différents aéro-clubs.
Transmettre, c’est d’abord partager une joie, celle du vol – mais aussi un état d’esprit.
J’ai aussi un goût très fort pour la pédagogie de conviction : expliquer, rassurer, corriger les préjugés. Aujourd’hui, on entend parfois des discours radicaux sur l’aérien ; on parle d’“aéro-bashing”. Je rappelle qu’écologie et aviation ne sont pas ennemies. L’aéronautique se réinvente : les carburants durables (SAF), les infrastructures plus sobres, les avions et leurs moteurs plus efficients. Pendant ce temps, la demande de mobilité mondiale explose. La filière ne se résume pas au cockpit : elle englobe l’ingénierie, la maintenance, les données, la logistique, les systèmes, les opérations aéroportuaires… C’est un écosystème immense, où chacun peut trouver sa place.
Le rêve d’Icare n’est pas mort. Il continue de se réinventer à travers chaque jeune passionné, chaque innovation, chaque envol.
Q : Quels profils ou talents trouve-t-on aujourd’hui dans la filière aéronautique ?
Une diversité extraordinaire. Les pilotes, bien sûr, mais aussi des ingénieurs, des techniciens, des logisticiens, des spécialistes du numérique, de l’intelligence artificielle, de la communication, de la sécurité… Pour un avion comme le Rafale, ce sont plus de cinq cents entreprises – du grand groupe à la TPE – qui coopèrent.
C’est une filière vivante, interconnectée, à la croisée de la technologie, de l’industrie et de l’humain.
Q : Selon vous, pourquoi l’aéronautique reste-t-elle un secteur porteur de sens pour les jeunes générations ?
Parce qu’il conjugue rêve et réalité.
Le transport aérien continue de croître à l’échelle mondiale, notamment en Amérique et en Asie. Et cette croissance n’est pas incompatible avec la transition écologique.
La décarbonation est en marche : les carburants durables, les aéroports électrifiés, les panneaux solaires, les innovations de structure et de propulsion… tout avance.
Écologie et économie ne s’opposent pas : elles s’allient.
Et surtout, cette transformation va créer des milliers de nouveaux métiers, bien au-delà du pilotage. L’aéronautique, c’est un secteur d’avenir, à condition d’y mettre la même exigence que la passion.
Le message aux jeunes
Q : Si vous deviez prodiguer un seul conseil à un jeune passionné d’aéronautique, lequel serait-il ?
Travailler très dur. Le dilettantisme ne mène nulle part. J’ai connu les obstacles, les échecs, les rebonds ; il faut s’y préparer.
Mais je crois profondément à cette idée : là où il y a une volonté, il y a un chemin.
Il faut de la ténacité, de la discipline, et surtout le goût de l’effort. C’est plus qu’une maxime : c’est une philosophie de vie. Dans l’aéronautique comme ailleurs, la ténacité finit toujours par nous ouvrir le ciel.
Q : Qu’aimeriez-vous qu’ils retiennent de votre parcours et de votre vision du métier ?
Que l’on peut lier des univers qui paraissent opposés : la culture et l’action, le texte et le vol, l’intellect et la mécanique. La rigueur s’apprend ; la passion, elle, se nourrit et se cultive. Et il faut du temps pour que les pièces du puzzle s’emboîtent : la synthèse arrive toujours, tôt ou tard.
Q : Une citation qui vous caractérise ?
Oui, une phrase latine que mon père m’a transmise : “Age quod agis.”
Cela signifie : fais ce que tu fais – ou plutôt : sois pleinement à ce que tu fais.
C’est un principe de vie : se concentrer, être présent à chaque instant, dans l’action comme dans la réflexion. J’aime avoir des projets, même fous. J’ai traversé l’Atlantique en hélicoptère – une fois, cela a échoué ; une autre, cela a réussi.
Et aujourd’hui encore, j’ai des envies, des projets, certains en lien avec notre belle région Auvergne-Rhône-Alpes.
J’aime rêver grand – jusqu’à imaginer, face au Mont-Blanc, un “Mount Rushmore” à la française célébrant les figures qui ont fait la France.
Il faut oser ; c’est comme cela que l’on garde le cap. Et durer, ajoutait le docteur Charles Mérieux. Oser et durer, une belle devise à proposer à nos jeunes d’aujourd’hui en faisant tout pour les aider à la réaliser.
Aller plus loin
Formez-vous à l’aéronautique et au spatial !
Découvrez les formations qui vous permettront de décrocher un emploi ou de parfaire vos connaissances sur la filière aéronautique et spatiale.