J’ai choisi mon métier autour de l’Espace pour expérimenter, pour apprendre, pour partager, pour grandir et avancer chaque jour de façon infime, mais néanmoins réelle, vers une meilleure compréhension de notre planète Terre, et de notre vie en tant qu’êtres humains dans l’univers. En essayant d’apporter ma pierre à l’édifice tout en faisant de mon métier ma passion.

Un rêve d’enfant devenu réalité

Q : L’agence spatiale européenne, vraiment ?

Je m’appelle Aline Decadi et je suis actuellement ingénieure Sureté de Fonctionnement et Sécurité du système de lancement Ariane 6. Je travaille à l’Agence Spatiale Européenne (European Space Agency – ESA) entre Paris et Kourou (Guyane Française).
Mon travail consiste à savoir prédire ce qui peut mal se passer sur le lanceur Ariane 6 et sur toutes les infrastructures qui l’entourent, de façon à pouvoir éliminer au maximum tous les scénarios catastrophes. En d’autres termes, je cherche à consolider les équipements les plus critiques pour qu’ils soient à l’épreuve de ces accidents. Pourquoi ? pour protéger toutes les personnes qui travaillent à proximité du lanceur lorsqu’on le prépare au lancement, et pour assurer la protection de toutes les personnes qui habitent ou sont géographiquement situées sous la trajectoire de vol du lanceur en vol, ainsi que la protection des biens et de l’environnement.
Mon travail existe à l’ESA car l’Agence Spatiale Européenne développe et finance les nouveaux systèmes de transport spatiaux en Europe pour répondre à la nécessité d’avoir un accès indépendant à l’espace. Et pour cela, l’Agence se dote de famille de lanceurs/ fusées comme la famille actuelle Ariane et Vega de façon à réaliser toutes les missions avec la plus grande versatilité possible.

Q : Quel a été vote parcours scolaire ?

J’ai passé un Bac scientifique, puis j’ai poursuivi mes études avec un cursus en école d’ingénieur (master) avec option aéronautique & espace (soutenue par la filière contrôle-commande) à l’ESTACA. Mais je pense qu’il faut retenir l’idée d’avoir un Bac+5 pour avoir un acquis en termes de formation qui permette aux entreprises du spatial d’avoir une idée du potentiel de l’élève et de lui confier des défis qui vont lui permettre de se révéler et d’acquérir des compétences solides au fil du temps.
J’ai passé ma dernière année de cycle d’ingénieur à Polytechnique Montréal (au Canada) pour acquérir d’autres méthodes de travail, confronter mes idées à d’autres systèmes éducatifs, et finalement choisir les méthodes d’apprentissage, de réflexion et de fabrication de ma proche façon de penser à moi.

De la passion à la carrière

Q : Pourquoi avez-vous choisi cette voie ?

J’ai toujours été fascinée par l’espace, par les étoiles, et par l’astronomie qui est par définition la Science des astres, des corps célestes (y compris la Terre) et de la structure de l’univers. Pour moi, l’Espace contient les clés de beaucoup de questions fondamentales telles que : d’où venons-nous et où allons-nous, sachant que nous, les humains, nous flottons littéralement dans l’immensité de l’univers sur notre petit grain de poussière « The Pale Blue Dot » qu’est notre Terre (comme l’appelait Carl Sagan).  J’ai donc toujours été curieuse de notre futur sur Terre et dans l’Espace. Et ça m’a donné, enfant, le rêve d’aller dans l’Espace, de devenir Astronaute, et de construire des vaisseaux spatiaux et de voyager dans l’Espace. Je me suis donc retrouvée à être passionnée très tôt et à lever la tête vers les étoiles car je trouvais cela extraordinaire et inconnu, et fascinant, et donc à découvrir. C’est ce qui m’a poussé à travailler dans la conception des satellites, puis des fusées/ lanceur en Europe et à l’international.

Q : Y a-t-il eu des obstacles ou des moments déterminants dans votre parcours académique ?

Certains moments ont été déterminants dans le choix de mon parcours académique et professionnel. J’ai ressenti très jeune la volonté de comprendre et d’expérimenter physiquement des conditions similaires à l’espace, tenter l’aventure, autant qu’on puisse l’envisager sur terre. Prenons l’exemple de l’apesanteur. J’ai effectué 2 vols paraboliques qui sont des vols en apesanteur pour mieux appréhender la physiologie humaine en situation de microgravité : orientation, respiration, système cardio-vasculaire, performance motrices et cognitives, etc. Et je peux vous le dire, je me rappellerai pour toujours de mon premier vol parabolique (pour mon anniversaire en 2012 !).

Q : Des sensations inoubliables ?

Voler sans sentir son poids, sans aucune charge sur son corps offre une sensation de liberté totale. Imaginez votre main dans laquelle vous tenez une petite balle, puis vous ouvrez la main, et la petite balle se met simplement à flotter là, juste au-dessus de votre main immobile. C’est absolument incroyable. Si quelqu’un vous donne une petite poussée avec un effet de rotation, vous allez commencer à tourner sur vous-même et rien ne pourra vous arrêter – sauf la fin de la parabole en cours. Néanmoins, imaginez votre nouveau super pouvoir, celui de pouvoir voler plus facilement qu’un oiseau. C’est magique. Voir les gens flotter autour de soi, sans effort, sans aucun référentiel de temps ni d’espace, c’est comme un rêve éveillé qui devient une réalité dans l’instant présent. Ce moment-là remplit tellement l’espace, remplit tellement tous nos sens, si fort, si intensément, qu’il n’y a de la place pour rien d’autre. Il n’y a vraiment plus rien d’autre qui compte dans cet instant-là. C’est un de ces moments où toute ta vie converge comme pour aboutir à ce moment-là. Comme si c’était dans l’ordre des choses. C’est unique, c’est magique, c’est réel.  N’est-ce pas passionnant ? Est-ce que cela vous donne envie de tenter l’aventure d’un vol en apesanteur ?  Je suis convaincue que oui.

Les défis et les réussites d’un métier de passion

Q : Racontez-nous comment vous êtes arrivée à Kourou sur le lancement d’Ariane 6 

Tout juste diplômée, j’ai travaillé 7 ans dans l’industrie aérospatiale chez Airbus et Thales, afin d’apprendre le métier de conception de systèmes aérospatiaux : je travaillais dans la conception d’équipements de contrôle d’attitude et d’orbite.
Puis, 2 ans chez MDA au Canada m’ont permis de travailler sur la mise en orbite de satellites, expérience clé pour intégrer le secteur des lanceurs.
Enfin, j’ai été recrutée par l’ESA comme ingénieure en Sécurité des Architectures Complexes. Fascinée par Ariane, j’ai saisi cette opportunité et je travaille depuis plus de 10 ans au sein des équipes d’Architecte du Système de Lancement Ariane (5 et 6).

Q : Pouvez-vous nous raconter un projet marquant ?

Je fais partie d’une grande équipe d’ingénieurs et de techniciens qui ont mené 22 mois d’essais à Kourou, aboutissant au vol inaugural de juillet 2024 et au second lancement du 6 mars dernier. Depuis 2023, j’ai passé la majeure partie de mon temps sur place, préparant les essais, résolvant des problèmes techniques et garantissant la sécurité des équipes.
Mon rôle : surveiller les paramètres du lanceur et de la base de lancement, arrêter une phase en cas d’anomalie, analyser la panne et trouver une solution pour sécuriser la suite des opérations. Ces essais ont été une expérience extrêmement enrichissante, confrontant théorie (6 ans) et pratique (2 ans), révélant les marges de sécurité face aux risques et affinant notre expertise technique.
C’est un travail intense, porté par des équipes passionnées qui donnent tout pour le succès d’Ariane 6. Cette aventure humaine nous pousse à nous dépasser, et je suis fière de partager ce défi avec des collègues aussi talentueux.

Q : Votre plus grande fierté ? 

Evidemment ! Ariane 6 est le projet majeur de ma carrière, mon premier développement d’un système de lancement en Europe. J’ai acquis des compétences théoriques (modélisation, simulations) puis pratiques grâce aux essais grandeur nature, un apprentissage concret et enrichissant. Ce fut un véritable passage de relais entre générations d’ingénieurs Ariane.
Contribuer à l’Europe du spatial est une chance exceptionnelle : notre autonomie dans l’accès à l’espace est essentielle. Inspirer les jeunes à rejoindre cette aventure est une grande fierté, car ces métiers passionnants sont accessibles à tous. Enfin, travailler en équipe pour une vision plus grande que soi est une expérience extraordinaire.

 

L’industrie aéronautique : un secteur d’avenir

Q : Quels conseils donneriez-vous pour réussir ?

A mes débuts sur Ariane 6, je n’aurais jamais cru qu’un jour, je ferai partie de l’équipe qui est au cœur des étapes du développement, des tests, de la qualification du système de lancement pour autoriser le vol inaugural du nouveau système de lancement en Europe, et puis du second lancement qui est aussi le premier vol commercial (si important pour toute l’Europe Spatiale). Je suis très reconnaissante d’avoir travaillé depuis le début sur ce projet et d’avoir rejoint les équipes en opérations. Je continue d’apprendre chaque jour de nouvelles choses, et c’est ce qui me passionne le plus ! Je suis bien consciente aujourd’hui que c’est une expérience unique dans une carrière. Mais ce n’était pas écrit à la base, contrairement à l’enchainement logique que ça donne de l’extérieur aujourd’hui. Ça peut paraitre s’emboiter parfaitement mais en fait, j’ai travaillé de façon constante pour chercher des solutions problème après problème, au sein d’une équipe résiliente et incroyablement talentueuse. Et la seule chose dont je suis sûre, c’est qu’on a tous un super pouvoir : le pouvoir d’apprendre, et d’aimer apprendre et grandir et se nourrir de l’expérience de nos anciens, celles et ceux qui se sont posés les mêmes questions que nous à un moment dans leur vie, et qui ont été là pour nous faire part de leurs témoignages, de leurs expériences, bonnes/ moins bonnes, de leurs conseils, de leurs doutes….  Parce que qu’il est crucial d’avoir pu travailler avec nos experts clés d’Ariane 5, dont nous sommes les porteurs de l’héritage d’aujourd’hui sur Ariane 6.

Q : comment voyez-vous l’évolution l’industrie spatiale ?

Les agences spatiales du monde entier partagent un objectif commun stratégique : garantir un accès indépendant à l’espace. Pour cela, elles développent des lanceurs, comme l’ESA avec la famille Ariane et Vega, afin d’assurer une grande diversité de missions. C’est pourquoi, nous façonnons l’avenir autour de trois piliers :

  • Ariane 6 et Vega-C entrent dans leur phase d’exploitation stabilisée qui va s’accroître, améliorée dans les années à venir avec le nouvel étage propulsif Astris pour Ariane 6 et le moteur à forte poussée Vega.
  • Encourager l’innovation par le biais du European Launcher Challenge et la préparation de projets futurs par la maturation de nouvelles solutions et de nouveaux acteurs qui peuvent fournir des services tels que la fabrication en orbite, le transport, l’expérimentation, le ravitaillement en carburant et le retour sur Terre.
  • Maintenir et améliorer l’infrastructure du segment terrestre du transport spatial. Les ports spatiaux et les installations d’essai sont fondamentaux pour le transport spatial. Nous modernisons le port spatial de l’Europe en Guyane française pour répondre à l’augmentation de la cadence des lancements et à la diversification des véhicules de lancement.

 L’Europe a le talent, la technologie et la détermination nécessaires pour y parvenir. Avec l’expertise de notre industrie européenne, nous favoriserons l’innovation, l’interopérabilité et le leadership.
Je me réjouis d’avance de voir arriver les lanceurs réutilisables. L’Europe spatiale travaille sur des concepts comme Prometheus, un moteur oxygène liquide/méthane récupérable, et Themis, un premier étage réutilisable exploitant cette technologie. Sans oublier SPACE RIDER, la navette automatisée réutilisable en cours de tests. Des missions passionnantes dont nous ne manquerons pas de suivre les prochaines aventures.

 

Un conseil pour les passionnés de demain

À celles et ceux qui rêvent de travailler dans l’espace : c’est possible ! Consultez régulièrement les offres sur le site de l’ESA (www.esa.int), postulez plusieurs fois si nécessaire et inscrivez-vous à des formations thématiques.

J’encourage particulièrement les femmes à tenter leur chance. Les fiches de poste détaillent les qualifications requises, mais seul le processus de candidature permet de mieux comprendre l’environnement de travail et de trouver ce qui vous épanouira vraiment.

Il y a du travail pour tous les corps de métiers, et des missions à la hauteur des défis que vous souhaitez relever.

Comme a dit cette femme incroyable Ellen Johnson Sirleaf (Prix Nobel de la Paix) : « si vos rêves ne vous font pas peur, c’est qu’ils ne sont pas assez grands ». Alors ne craignez pas la hauteur de vos rêves, tentez de les atteindre.

Cette peur se transformera en énergie positive, constructive, qui permettra de convaincre, d’être percutant, et de vous accomplir pleinement.

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