À 36 ans, Arnaud Demay travaille sur l’un des programmes les plus ambitieux de l’Europe spatiale : Ariane 6.
De ses débuts au CNES jusqu’au vol inaugural de juillet 2024, il revient sur son parcours, son rôle actuel et les perspectives d’un secteur en pleine transformation.

 

Q : Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Arnaud Demay, et je suis Qualification Project Manager sur le nouveau lanceur européen Ariane 6, au sein d’ArianeGroup. Cette entreprise, née en 2016 du regroupement des activités d’Airbus et de Safran liées aux lanceurs, est aujourd’hui un acteur majeur de l’aérospatial européen. Elle conçoit, développe, fabrique et exploite les fusées Ariane, en collaboration avec sa filiale commerciale Arianespace.

 

Q : Quel a été votre parcours académique ?

J’ai suivi un bac scientifique option mathématiques, puis une classe préparatoire scientifique (maths, physique et sciences de l’ingénieur). J’ai intégré ensuite l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers (ENSAM), une formation généraliste tournée vers les procédés mécaniques et l’industrialisation.

Cette école m’a permis d’explorer plusieurs domaines, avec la possibilité en troisième année de me spécialiser dans l’un des 32 parcours proposés : énergies nouvelles, aéronautique et espace, management de l’innovation… Ce choix progressif m’a donné une vision large et pragmatique des défis industriels.

À la suite de mon diplôme d’ingénieur, j’ai choisi de poursuivre avec un Mastère Spécialisé en Space Systems Engineering à l’ISAE-SUPAERO. Cette formation multidisciplinaire en ingénierie et management des systèmes spatiaux s’adresse aussi bien aux jeunes diplômés qu’aux professionnels expérimentés. J’y ai découvert toutes les facettes des systèmes spatiaux : satellites, lanceurs, segments sols, et surtout la gestion de programmes complexes.

Ce mastère, enseigné par des professeurs de l’ISAE mais aussi par des experts du CNES, de l’ESA, de l’ONERA et d’industriels comme Thales Alenia Space ou Airbus Defence & Space, a été déterminant pour moi. Il a renforcé ma passion et mon rêve : participer un jour au lancement de fusées.

 

Q : Comment s’est déroulé votre parcours professionnel ?

J’ai débuté ma carrière comme sous-traitant du CNES, au sein de la Direction des Lanceurs. C’était une expérience exceptionnelle : j’ai travaillé directement avec les équipes qui imaginaient les futurs lanceurs européens.

Mes missions ont été variées :

  • modélisation de trajectoires et simulateurs de vol,
  • études d’optimisation en pilotage et contrôle-commande,
  • analyses de sauvegarde (ces calculs qui déterminent quand et comment neutraliser une fusée en cas d’anomalie pour garantir la sécurité au sol).

Ces études sont essentielles, car elles servent aussi à définir les emplacements de nouveaux pas de tir. C’était le cas en 2013, lorsque nous préparions l’arrivée d’Ariane 6.

En 2016, j’ai rejoint ArianeGroup, qui venait tout juste de naître. Là, j’ai pu contribuer directement à la conception et la fabrication des fusées Ariane 6, depuis la recherche et technologie jusqu’aux campagnes de lancement en Guyane.

 

Q : Quel est votre rôle aujourd’hui chez ArianeGroup ?

En tant que Qualification Project Manager, je pilote la qualification du système de lancement Ariane 6. Cela consiste à :

  • organiser et gérer la structure de qualification du lanceur,
  • identifier les points techniques ouverts et s’assurer qu’ils soient traités,
  • coordonner des disciplines extrêmement diverses : propulsion, structures, calculs, systèmes avioniques, analyse des phases de vie…

Concrètement, je travaille en étroite collaboration avec les équipes techniques et les directions de programme pour que chaque fusée Ariane 6 soit certifiée et prête au vol.

 

Q : Quels ont été vos projets marquants ?

Les 18 derniers mois ont été intenses, avec la préparation du vol inaugural d’Ariane 6, le 9 juillet 2024. J’ai eu la responsabilité de clôturer l’ensemble des points techniques encore ouverts : près de 8 000 sujets interconnectés, couvrant toutes les disciplines du lanceur.

Ce travail de coordination a demandé :

  • de la rigueur dans le suivi et la justification technique,
  • de la clarté pour rendre visible et compréhensible l’état de la situation,
  • du leadership pour embarquer les équipes et tenir les délais.

Ces activités ont permis de garantir l’aptitude au vol du premier Ariane 6 et d’améliorer la maturité globale de ses systèmes.

Pour réussir dans ce type de mission, il faut combiner :

  • des compétences techniques (en mécanique, calculs, propulsion, ingénierie système, gestion de configuration…),
  • des compétences transversales (gestion de projet, communication, résolution de problèmes complexes),
  • et une maîtrise des langues (anglais, parfois allemand), indispensable dans le contexte spatial européen.

Q : Quelles formations ou expériences recommanderiez-vous aux étudiants ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les lanceurs ne sont pas « plus compliqués » que d’autres systèmes industriels : ce sont des assemblages d’ingénieries déjà connues (mécanique, automatique, systèmes embarqués), mais poussées à l’extrême.

Un diplôme d’ingénieur généraliste est donc largement suffisant pour travailler dans ce secteur, ou bien un diplôme spécialisé en mécanique, automatique, ou propulsion.

Je conseille aussi aux étudiants de :

  • suivre l’actualité spatiale mondiale, pour se familiariser avec les enjeux,
  • développer leur maîtrise des outils numériques et de la gestion de projet,
  • cultiver la curiosité, la proactivité et l’esprit d’équipe.

Q : Quelles sont les grandes tendances de l’industrie aujourd’hui ? 

L’industrie spatiale est en pleine mutation. Parmi les évolutions majeures :

  • La réutilisation des lanceurs : SpaceX a ouvert la voie avec Falcon 9. En Europe, ArianeGroup développe via sa filiale MaiaSpace un nouveau lanceur réutilisable, plus modeste mais innovant, propulsé par plusieurs moteurs Prometheus. Les premiers lancements sont envisagés entre 2026 et 2028.
  • La durabilité : développement de carburants moins polluants et optimisation des procédés de fabrication pour réduire l’empreinte carbone.
  • L’intelligence artificielle et l’automatisation : elles s’intègrent déjà dans la conception, la fabrication et le lancement, pour améliorer l’efficacité et réduire les erreurs humaines.
  • La fabrication additive (impression 3D) : elle permet de produire des pièces plus légères, résistantes et à moindre coût, tout en augmentant la cadence de production.

Ces évolutions entraînent une forte demande de compétences en propulsion réutilisable, en IA, en automatisation, mais aussi en analyse de données massives issues des missions spatiales.

Q : Qu’est-ce qui vous motive au quotidien ?

Ce qui me passionne, c’est de travailler sur des projets qui combinent innovation, complexité et collaboration internationale.

La plus grande fierté de ma carrière reste le moment où j’ai vu Ariane 6 décoller pour la première fois. Derrière ce lancement, il y a des années de travail, des milliers de personnes mobilisées, et le sentiment d’avoir contribué à une aventure humaine et technologique unique.

 

Q : Un dernier mot pour les étudiants ?

Je leur dirais : osez ! Persévérez dans vos études, restez curieux, explorez toutes les opportunités. Le spatial est un secteur exigeant, mais incroyablement stimulant.

Je leur recommande fortement de persévérer dans leurs études et de rester curieux. Le domaine des lanceurs spatiaux est en constante évolution, et il est essentiel de continuer à apprendre et à se tenir informé des dernières avancées technologiques. Ils doivent développer des compétences en gestion de projet, en résolution de problèmes et en travail en équipe. Ces compétences sont cruciales pour réussir dans un environnement de travail dynamique et exigeant.

Il est essentiel d’explorer différentes voies dans le domaine des lanceurs spatiaux. Cela peut inclure des spécialisations en ingénierie mécanique, en électronique, en informatique, ou en gestion de projet. Chaque domaine offre des opportunités uniques et complémentaires. Les étudiants doivent également être ouverts à l’idée de travailler dans des équipes multidisciplinaires. La collaboration avec des experts de différents domaines permet de bénéficier de différentes perspectives et de trouver des solutions innovantes aux problèmes complexes.

Pour finir, le domaine des lanceurs spatiaux est passionnant et en pleine expansion. Il offre des opportunités uniques pour celles et ceux qui sont prêts à relever des défis techniques et technologiques. Vous allez pouvoir réussir et contribuer à des missions spatiales innovantes et inspirantes : vous allez lancer un objet de 800 tonnes dans l’espace ! Bienvenue sur Ariane 6 !

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